Recueil

Ce recueil
rassemble
des contributions
d’Alain Cueff
à des catalogues
d’exposition
ou à des revues ;
ces textes sont
[] téléchargeables
en pdf en français
et, pour certains,
en anglais.

Contributions
Les clefs d’une passion

«Détours critiques du sensible»
Ce que Proust parvient à résoudre dans la continuité de
sa vision poétique est le plus souvent perçu comme un dilemme dans le discours esthétique. Dilemme lancinant entre perception et compréhension, sensation et travail critique, caractéristique
de la modernité qui, rarement affronté – ou plutôt : régulièrement
esquivé –, a fini par hanter notre rapport à l’art.

“The sensory and its critics”
By and large, in aesthetic analysis, what Proust manages to
resolve within the continuity of his poetic vision is perceived
as the dilemma of perception versus comprehension, sensation
versus critical acumen—a quandary highly characteristic
of modernity, which, since it has so seldom been confronted
(or, rather, since it has been systematically circumvented), has
ended up besetting our relationship to art.

The 80s’: A Topology

«L’œuvre d’art, l’œuvre»
Alors que de nombreuses techniques comme la photographie
et le cinéma se sont précisément banalisées et assimilées au cours
des années quatre-vingt, que des pratiques hybrides issues de
la performance en ont dans le même temps brouillé les contours,
l’œuvre s’est tantôt trouvée rabattue sur des catégories
traditionnelles (peinture, sculpture…), tantôt réduite sans autre
forme de procès à celles d’artefact, d’objet d’art, ce qui n’est pas
resté sans effets sur les conditions de sa perception et de
sa « commodification »

“The Art work, the work”
Whereas different media such as photography and cinema became
commonplace or were assimilated in the course of the 1980s,
and hybrid practices derived from performance blurred
its contours, the work was still either shoehorned into traditional
categories (painting, sculpture, etc.) or unquestioningly reduced to
that of artefact or art object, which also had an impact on
the way it was perceived and commodified.

Hyperfocal, cinq artistes de Los Angeles

«Los Angeles, détails et horizons»
L’espace aérien est notre forêt obscure. Dans le ciel vide, les routes dont les diagrammes scintillent sur l’écran ne sont jamais droites : les avions semblent aller très vite mais se contentent en vérité de consommer des retards et nous font tourner en rond dans les vents ou à rebours de la planète. Tout est en mouvement – tout est en repos ? Persuadé d’aller d’ici-bas à là-bas et d’en revenir indemne, le voyageur est baladé à son corps défendant entre un nom de code et un autre, chiffres élémentaires de trois lettres, séparés par des distances inexprimables.

L A X est l’un de ces chiffres qui indique un jour votre destination.

“Los Angeles, details and horizons”
Air space is our dark wood. In the empty sky, the flight paths that glitter as diagrams on screens are never straight: planes seem to fly very fast but in reality do no more than gobble up delays and keep us going circling in the wind or going backwards round the planet. Everything is in motion—everything is at rest? Convinced of going from down here to over there and coming back without a wrinkle, the traveler is trundled around—and over his dead-weight body—between one code name and another, elementary three-letter ciphers, separated by inexpressible distances.

L A X is one of these ciphers that one day indicates your destination.

La Peinture Française

«Un art sans histoire»
L’art français depuis l’après-guerre souffre, c’est le moins que
l’on puisse dire, d’un manque de lisibilité qui empêche
à la fois de rendre compte de sa spécificité et, le paradoxe n’est qu’apparent, d’en apprécier la diversité et les contradictions.
Les mouvements qui se sont très rapidement succédé en un peu plus de cinquante ans – de l’art informel à « l’esthétique » sociologiquement correcte d’aujourd’hui – forment un curieux dédale à l’organisation duquel aucune logique ne semble présider.

La Peinture après l’abstraction, 1955-1975

«L’actuel et le discontinu: l’espace au présent»
Aussi diverses soient-elles, les œuvres de Martin Barré, Jean Degottex, Raymond Hains, Simon Hantaï, Jacques Villeglé, par les déséquilibres qui les traversent, par les incertitudes du trait et de la matière, prises dans des processus qui auraient pu se poursuivre plus avant mais qui, arrêtés, prennent alors une dimension interrogative, ont à l’évidence renoncé à des espaces prédéfinis et préjugés qu’une simple trace ou une figure dûment élaborée viendraient habiter et clôturer. Autrement dit, l’espace du tableau n’est pas donné a priori, fenêtre ouverte selon des règles centenaires sur les objets du monde ou sur un monde spirituel intérieur, règles éventuellement altérées dans leur détail qui assureraient alors le renouveau d’un cadre conceptuel
et esthétique.

“The actual and the discontinuous: present space”
Diverse as they are, the works of Martin Barré, Jean Degottex, Raymond Hains, Siman Hantaï, Jacques Villeglé —given their states of disequilibrium, their uncertainties of touch and matter, and their involvement in processes which could have been pursued further but which, being stopped, take on a questioning dimension —, have evidently abandoned the quest for predefined and prejudged spaces that a simple trace or duly elaborated figure might inhabit or close off. In other words, the space of the painting has no a priori existence here, as a window opened onto the objects of the world or onto an inner spiritual sphere in accordance with time-honored rules, which rules may, of course, undergo this or that change of detail and thus renew the conceptual and aesthetic frame

À travers le miroir, de Bonnard à Buren

«Miroirs sans reflet»
Attribut de la vérité, symbole de la connaissance, indice de l’art de voir, analogon de l’art de peindre, le miroir est l’instrument de jeux innombrables qui offrent des reflets trompeurs ou révélateurs, des aperçus insolites sur le monde, des métamorphoses improbables, mais aussi des visions critiques sur un univers consumé par les apparences. Les constructions qu’il suscite dans la peinture occidentale tentent de restituer la complexe profondeur du visible en usant et en dénonçant dans le même temps les artifices de l’illusionnisme : quelles que soient ses occurrences, il relève d’une dimension contradictoire que la gamme infinie de ses possibilités rend vertigineuse.

Monographies
Beat Generation

«Sur la route, sous le ciel [Sur Jack Kerouac]»
Inspirer d’autant plus profondément, soutenir le souffle :
continuité de l’allant, notes perlées dans l’improvisation,
la reprise (le chorus), les ciels et les cieux, la conscience
ininterrompue de la vie, la force et la joie, « Vendredis après-midi
de l’univers » – un souffle jamais relâché, tenu dans la bonne clé,
quel que soit le défaut des notes, pour emporter « l’allusion douce
et déchirante de l’harmonie sauvage de tous nos cœurs chus
chantés ». Animal et relevé, « que votre cœur ne se trouble pas ».

James Rosenquist, Four Decades, 1970-2010

«Par ellipses, la peinture de James Rosenquist»
Dans sa critique de la civilisation de l’image, publiée en 1962,
au moment même où le Pop s’imposait sur la scène artistique
new-yorkaise, Daniel Boorstin considérait, avec une emphase
dramatique désormais quelque peu désuète, que, de
toutes les menaces qui pesaient sur le monde (idéologiques,
économiques, sociales et politiques), la plus grave était
celle du défaut de réalité induit par le triomphe des mass-médias
et leur irrésistible capacité à substituer le vraisemblable à la vérité.
Dans le régime des « pseudo-événements » où « les idéaux
sont remplacés par des images », les rêves américains cèdent
inéluctablement la place aux illusions américaines,
« si saisissantes, si persuasives, si ‹ réalistes › » qu’elles sont
devenues un nouvel habitat…

“In Ellipses, The Paintings of James Rosenquist”
In his critique of the civilisation of the image, published in 1962,
when Pop Art was the rising force on the New York scene,
Daniel Boorstin wrote, with what now reads as rather outmodedly
dramatic emphasis, that of all the—ideological, economic,
social and political—menaces plaguing the world, the most serious
was unreality, caused by the triumph of the mass media
and their irresistible ability to substitute the plausible for the true.
In this regime of “pseudo-events” ideals were being replaced
“by […] images […] illusions so vivid, so persuasive, so ‘realistic’
that [men] can live in them.”

Alain Jacquet, Des Images d’Épinal aux Camouflages (1961-1963)

«Images duplices, peintures cannibales»
Alain Jacquet a manifesté son intérêt théorique et artistique pour le [camouflage} dans sa dimension spécifiquement militaire, précisant qu’il avait même eu le projet « de couvrir entièrement les murs de la galerie Breteau avec les couleurs de camouflage et d’y accrocher des tableaux faits de toile de camouflage montée sur châssis. » Faire disparaître la peinture et le peintre aux yeux du monde tout en rendant cette disparition manifeste…

« Double-Dealing Images, Cannibal Paintings »
Alain Jacquet manifested a theoretical and artistic interest in the subject as a specifically military phenomenon, specifying that he had even made plans “to cover the walls of the Breteau gallery with camouflage colours and to hang on them paintings made with camouflage canvas mounted on stretchers.” Painting and the painter would thus disappear from the world’s eyes while the disappearance itself was made manifest.

Roy Lichtenstein

«Une peinture contre-nature»
Où sont envisagées les prémisses de l’œuvre de Roy Lichtenstein dans les années cinquante, avant « l’invention » du Pop, à partir d’une vignette, considérablement altérée, du Mickey de Walt Disney.

Collection, Films

«Chelsea Girls»
À la légende hollywoodienne dont il reconnaît volontiers les fastes, la séduction et l’empire, il oppose d’emblée la désinvolture de l’apprenti sorcier, réduit à des moyens primitifs. Ses premières tentatives relèvent d’un amateurisme délibéré et l’idée de construire un scénario efficace ou au moins cohérent est écarté comme un souci superflu. Et en effet, à quelques exceptions
près, il n’a jamais manifesté le désir de scénariser des histoires, c’est-à-dire, dans son esprit, de les détacher de la réalité immédiate telle que la caméra peut la saisir. En contraste avec l’art de peindre, son cinéma est une pratique de l’image dans la succession de ses instants – succession qui ne saurait être ni prédéterminée par, ni aliénée à une écriture qui amoindrirait le choc prolongé de la transcription mécanique du mouvement.

Cahiers du Musée National d’Art Moderne

«Paul Sietsema, l’empire de la vision»
Empire de Paul Sietsema, est, de bien des points de vue, un étrange dispositif visuel : s’il s’agit matériellement et conceptuellement d’un film, tourné en 16mm et projeté dans une salle de galerie ou de musée aménagée à cet effet, Empire entendu comme projet comprend aussi des objets et des maquettes, des dessins et d’innombrables notes de lecture. Non seulement l’œuvre n’est pas réductible à sa seule forme achevée, mais les relations qui y sont tissées entre la sculpture, l’architecture, l’histoire, la littérature, la peinture et le cinéma brouillent encore les contours de l’œuvre.

“The Empire of Vision, Note on Empire by Paul Sietsema”
Empire by Paul Sietsema is, in many respects, a strange visual set-up: if, materially and conceptually, it is a film, shot in 16 mm and projected in a gallery or museum room set up for that purpose, as a project Empire also includes objects and models, drawings and countless reading notes. Not only can the work not be reduced to its finished form, but the relations that it establishes between sculpture, architecture, history, literature, painting and cinema further blur the work’s contours.

Andy Warhol et Pat Hackett, Popisme

«Du pop au popisme, produits du temps»
En une dizaine d’années frénétiques qui passent comme un songe – un songe aussi éveillé qu’électrique –, Andy Warhol mène à New-York et dans le monde une singulière guerre des images qui bouleverse les us et les coutumes de l’art héroïque comme ceux des mass-médias. Les peintures, les films, les photographies, les textes, les dessins qu’il produit par centaine sont ses armes – des armes d’autant plus efficaces qu’elles semblent d’abord inoffensives.

“From Pop to Popism: Products of Time”
Over the course of ten frenetic years, which passed like a dream – a dream as awake as it was electric – Andy Warhol waged a singular war of images in New York and around the world, upsetting the habits and customs of both heroic art and the mass media. The paintings, films, photographs, texts and drawings he produces by the hundred are his weapons – weapons all the more effective for their apparent harmlessness.

Watershed, The Hudson Valley Art Project

«James Welling, D’un monde à l’autre»
Une vidéo de James Welling datant de 1974, Ashes, présente en trois plans séquences un tas de cendres à peine animées par un léger courant d’air. Bien qu’il ait rarement utilisé ce médium et ait très tôt privilégié la photographie, cette singulière nature-morte préfigure à bien des égards des aspects essentiels de son œuvre. On est d’abord frappé par l’étrange temporalité de cette image…

“James Welling”
James Welling’s 1974 video, Ashes, features three sequential shots of a pile of ashes, being barely stirred by a gentle draft. Although he has used this medium only on rare occasions, choosing to concentrate on photography very early in his career, Ashes nonetheless prefigures many key aspects of his overall oeuvre. At first, we are struck by the strange temporality of the image…

Mario Merz

«Pittore in Africa, les traversées de Mario Merz»
L’espace architecturé où les œuvres de Mario Merz prennent place demeure à peine perceptible : il a perdu, en tout cas, sa distinction originelle — palais, musée ou entrepôt, la présence de ces œuvres fait oublier leur destination première. Cet espace n’est pas nié, pour autant, encore moins masqué par de complexes travaux d’illusionniste (ni labyrinthe ni fresques, ni estrades ni coulisses), ou métamorphosé d’une main d’ingénieur dans ses aspects ou dans son plan : il est submergé par l’ensemble proliférant des œuvres qui tissent entre elles, où qu’elles se trouvent, des rapports plurivoques mais solidaires.

XXIVe Biennale de Sao Paulo

«Alberto Giacometti –
L’objet, le vide et la mort de l’homme»
L’ambivalence entre l’animal et l’humain, l’association de l’acte sexuel et du meurtre témoignent avec assez d’évidence de la violence que Giacometti exerce en même temps sur l’objet d’art, tout à la fois contre ses formes historicisées et contre le principe réaliste. Les objets n’assumeront plus pour lui la moindre fonction de médiation entre les temps, entre les hommes, de même que les rêves perdront leur fonction conjonctive entre perception et réalité.

“Alberto Giacometti –
the object, the void, and the death of man”
The ambivalence between the animal and the human, the link between the sexual act and murder, adequately attest to the violence Giacometti was perpetrating at the same time on the art object, both against its historicized forms and against the principle of realism. For him, objects no longer performed the slightest function of mediation between time or between human beings, just as dreams had lost their function to join perception and reality.

Jan Vercruysse

«Mille Tombeaux»
En 1987, Jan Vercruysse exposait les premiers Tombeaux (Stanza) qui ont, depuis, constitué l’essentiel de son travail. Sous ce titre sont regroupées des dizaines d’œuvres d’aspects très différents, au point que l’on pourrait douter de leur communauté et n’y voir qu’un rassemblement artificiel et théorique d’œuvres disparates, si une observation plus attentive ne montrait au contraire l’extrême cohérence de cet ensemble imposant.

“A Thousand Tombeaux”
In 1987, Jan Vercruysse exhibited the first of the TOMBEAUX (Stanza) which have since constituted the main part of his work. Under this title he has brought together dozens of works of varying appearance – indeed, so diverse are they that one might be tempted to consider this stated community as merely an artificial, theoretically determined collection of disparate works.

René Daniels, Lentebloesem

«Possibilités obliques»
Rien, dans l’œuvre de René Daniels, ne reste en place. Toute image ne semble possible que dans la mesure où elle a été, est ou sera transformée : une possibilité est contingente à une autre, fonde sa pertinence au travers d’un enchaînement sans fin. Une cartographie raisonnée de l’œuvre serait irréalisable : aucun code n’est élaboré, depuis lequel se développerait une rhétorique définie. Les liens entre les images et leurs différentes actualités ne cessent de se former et de s’altérer en un réseau continu qui investit l’œuvre en son entier.

Parkett

«Edward Ruscha : Un monde lointain»
La peinture, dans la peinture d’Edward Ruscha, ne fait pas Histoire, ne fait pas d’histoires. Pourtant, elle est envahie par des histoires en tous genres, par des extraits de récits les plus divers, par des archétypes narratifs sans commencement ni fin, des citations, des slogans. On les rencontre là, parties prenantes de la peinture, histoires déplacées, d’une banalité obstinément étrange.

“Edward Ruscha: a distant world”
In Edward Ruscha’s work, painting is not history, it doesn’t make stories. Yet it is invaded by stories of all kinds, by extracts from the most diverse narratives, by narrative archetypes without beginning or end, by quotations and slogans. We meet them there, as part of the painting, displaced stories of a stubbornly strange banality.

Parkett

“Alighiero e Boetti, Paradox and its double”
From precariously balanced Columns of paper plates (1966) to Postal Works (1974) of stamps in apparent disorder, yet actually carefully ordered; from Ping Pong (1966) to Nature: A Shady Business (1984), we pass from one code or system to another. Each of them proposes a particular way of ordering everyday motifs. Far from being able to determine the work as a whole, these systems are expressly limited to the elements to which they apply thanks to their simplicity and to their particularity.